J'avais écrit ce texte en 1995. La situation, depuis, ne s'est pas améliorée, hélas. D'autant que maintenant, pour être encore plus efficaces dans la négation de la nature
et pour mieux cacher le fait qu'elle se débrouille très bien sans nous, on a mis sur le marché un autre mot dont on se gargarise dans les salons où l'on cause : Biodiversité. Tiens, il
faudra que j'en parle aussi, de celui-là! Mais nous verrons plus tard.
"On n'est que par rapport à ce qui n'est pas soi et l'on est d'autant plus intensément que cet autre est différent"---
"Ceux qui n'ont jamais eu envie de pleurer devant les bulldozers ne sont pas de vrais alliés".
De tous côtés, on n'entend plus que ça, comme disait il y a plusieurs décennies une chanson vantant les mérites du twist. Environnement, environnement--- Et la nature
alors ? Où est-elle passée, la nature ? Le mot "nature".a-t-il définitivement cédé la place ?
ENVIRONNEMENT
Mot anthropocentrique s'il en est - Au milieu l'Homme tout puissant et avec un grand H, le reste autour est quantité négligeable. Un mot technocratique, grisâtre, guindé, sans joie, un mot de réformiste frileux pour une planète aseptisée où
l'Homme ne rencontrera plus que lui-même. Un mot relégué dans les placards d'un ministère-alibi où le plus humble des braconniers dont
nous entretenait Maurice
Genevoix aurait oeuvré avec plus d'amour que le moins mauvais des ministres ou secrétaires d' Etat qui s'y sont succédés (pardon
Huguette ! Ne te fâche pas, Dominique, j'avais écrit ça en 1995! NDLR).
Protéger I'environnement, ce peut être gérer par ordinateur et,
pourquoi pas, selon les méthodes de l'agriculture biologique, les pelouses et les parterres de pétunias entre une centrale nucléaire et le parking de
l'Hypermarché qui jouxte l'autoroute.
Environnement : un mot qui ne laisse pas la moindre place à notre solidarité
fraternelle avec le crapaud, le gorille des Virungas, la couleuvre à collier ou l'épeire-diadème. Si nous lui laissons poursuivre
son travail d'imprégnation, aurons nous encore demain droit à I'imaginaire, nos enfants sauront ils encore"naviguer dans
les arbres"? Celles et ceux qui fondent de tendresse à la vue de vieux chênes moussus et de hêtres modelés par les
tempêtes, celles et ceux qui développent dès le plus jeune âge un goût irrésistible pour la rugosité des.écorces dans les sous-bois moites, pour les longues marches solitaires dans la nuit "non infestée de lueurs", à l'écoute du hululement de la chouette,
du grognement du blaireau ou du hurlement si délicieusement terrifiant du renard, sont déjà mis au banc de la société. Ne font-ils
pas naître des sourires condescendants, voire méprisants ?
Cardères Sylvestres, garde-manger des Chardonnerts qui y font de bien jolies acrobaties.
La photo, de Luc Romann, est prise depuis le pas de sa porte.
Nature:
"Si,devant des gens en pleine santé, I'on prononce les mots ordinaires de la nature :foin, herbe, prairie, saules,
fleuves, sapins,montagnes, collines, on les voit comme touchés par un doigt magique. Les bavards ne parlent plus. Les forts
gonflent doucement leurs muscles sous les vestes, les rêveurs regardent droit devant eux. Si on écoutait, à ce moment là, la
petite voix de leur âme, on entendrait qu'elle dit : voilà, comme si elle était enfin arrivée. Ils sentent au fond d'eux mêmes le
grand limon s'émouvoir sous l'arrivée d'une eau fraîche et toute étincelante de force. Nous sommes trop vêtus de villes etde
murs. Nous avons construit des murs partout pour l'équilibre, pour l'ordre, pour la mesure. Nous ne savons plus que nous sommes
des animaux libres. Mais si l'on dit :fleuve ! ah ! nous voyons : le ruissellement sur les montagnes, l'effort des épaules d'eau à travers les forêts, I'arrachement des arbres, les îles chantantes d'écume, le déroulement gras des eaux plates à travers les boues des
plaines, le saut du fleuve doux dans la mer... Il peut y avoir toute une forêt dans un aboiement de renard.
Je chante le balancement des arbres, le grondement des sapins dans les couloirs de la montagne ; les vastes plaines couvertes de forêts et qui, en haut de la colline ressemblentà la mer, mais qui s'ouvrent quand on descend avec leurs étranges chemins d'or vert,
leur silence. la fuite des belettes, l'enlacement des lierres autour des chênes, l'amour qui lance les oiseaux à travers les feuilles
comme des palets multicolores, les plages de sable où les chevaux sauvages galopent dans un éclaboussement de poussière et d'eau,
la pluie qui passe sur les pays, l'ombre des nuages, les migrations d'oiseaux, les canards qui s'abattent sur les marais, les
hirondelles qui tournent au dessus du village, puis tombent comme de la grêle, et les voilà dans les écuries à voler sous ie
ventre des chevaux, les flottes de poissons qui descendent les rivières et les fleuves, la respiration de la mer, la nuit tout ensemencée d'étoiles et qui veut cent milliards de siècles pour germer." (Jean Giono).
Laissons l'environnement à son monde empesé. Verts défenseurs de la vie aux cheveux en bataille, arrachons les cravates qui ont
insidieusement squatté nos têtes ."Craquelons nos carcans, déchaînons nos enfants". Laissons les vivre. Qui ? Nos
émotions. Chantons, nous aussi, "le rythme mouvant et le désordre". Habillons à nouveau nos paroles et nos écrits
du mot "nature"chargé de tout son sens révolutionnaire et d'un enivrant parfum de liberté.
Par ordre d'apparition à l'écran et pour leur aide involontaire mais précieuse, merci à Robert Hainard (Tension ovec la nature). François Terrasson (Retrouver l'instinct). Colette (Prisons et Paradis),Jean Giono (Rondeur des
jours) et Catherine Ribeiro.
"Sans espace, point d'innocence ni de liberté". Albert Camus.
La photo est encore de Luc Romann.