Une contribution de Daniel Labeyrie.
Ma religion est celle de l'amour de l'oiseau
Gilles ELBAZ
A la première lueur blafarde d'un petit matin grisailleux, je t'ai aperçue , perchée sur la ramure la plus élevée d'un conifère. Interpellé par tes trilles,
j'ai levé la tête et toi, la grive,
tu t'égosillais merveilleusement dans la cité encore endormie.
La tête haute, tu chantais pour annoncer l'imminence de la venue du printemps à deux pas des barres d'immeubles en plein coeur de la ville; ton chant résonnait sur les murs de béton comme un anachronisme rassurant.
Pas le moindre humain ne semblait entendre ta mélodie et , malgré l'absence d'auditeur, tu poursuivais ton concert , arborant ton poitrail moucheté à mon regard étonné. Dans les rares jardins alentour, quelques merles étaient en résonance avec toi mais, au sommet de ton arbre,
tu chantais tout seule la vie avec une dignité déconcertante.
Si le chant des oiseaux se perd dans le tumulte ambiant , se noie dans l'indifférence, qui osera s'arrêter dans sa course infernale pour faire sien un hymne
à la beauté et se laisser pénétrer par quelques volutes sonores apaisantes ?
Je doute que tu m'aies remarqué au pied de cet arbre quelconque,
parfois visité par une corneille braillarde et querelleuse.
Chère grive musicienne quand le jour se sera levé, lorsque le soleil aura mis en couleur le paysage urbain qui t'entoure, en quelques battements d'ailes,
tu regagneras discrètement ton nid, ton modeste territoire inconnu pour
subvenir aux besoins de quelques oisillons gourmands.
La rumeur de la ville reprendra ses droits mais demeurera en moi ces quelques minutes fugitives où le chant d'une grive a éclairé les gris de l'âme
d'un petit matin tristounet.
Daniel LABEYRIE