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12 août 2013 1 12 /08 /août /2013 08:10
Ce que le féminisme a apporté aux hommes.

Une contribution d'Henri Boulbès.



Ce que le féminisme a apporté aux hommes.
Ou à un homme, moi en l'occurrence.


Quelques remarques préliminaires :
1 Nous sommes en effet en devenir; nous recevons chaque jour des informations nouvelles, nous faisons d'autres réflexions, nous éprouvons d'autres sentiments, nous recevons de nouvelles impressions. Le monde et la vie charrient vers nous un flot continu qui vient battre notre esprit et notre cœur, les pénètre, y laisse des sédiments qui se superposent et se remodèlent sans cesse. Dans ces conditions, comment distinguer ce que nous devons à telle personne, à telle lecture, à tel évènement ?

2 En l'espèce, comment distinguer ce qui m'est venu du féminisme proprement dit de ce qui m'est venu de mai 68, des évènements qui l'ont précédé et suivi, de mon milieu, des évolutions de la pensée pendant cette période ?

3 Et enfin, parle-t-on en parlant de féminisme d'un courant politique constitué, d'une sensibilité, d'une réalité extérieure ? En d'autres termes, est-ce l'évolution générale des mœurs qui est visée par ce mot ? Une sensibilité qui s'est répandue, chez les femmes, mais aussi chez les hommes ? Une pratique militante ?

et une réponse :
Quand j'ai eu vingt ans, la grande question était celle de l'égalité entre hommes et femmes, dans la vie et au travail. L'égalité ne peut pas être un vain mot pour un fils de pauvre. Ce principe m'a paru d'emblée évident. J'ai senti aussi qu'on ne pouvait pas l'affirmer sans le mettre aussitôt en pratique. (Ce qui n'est pas le cas de tous les principes !) Il m'a fait accepter comme allant de soi le partage des tâches ménagères et éducatives.

Il m'a permis ainsi de me situer par rapport à mon milieu d'origine, non pas par la révolte, ni par l'opposition frontale, mais par un comportement : en m'occupant presque ostensiblement de mon fils. Je crois que j'ai achevé ainsi - incomplètement toutefois - la rupture que mes études avaient commencée. Non seulement j'avais une autre culture, je vivais ailleurs, en ville, mais encore j'étais homme différemment.

Dès cette époque, je n'aimais pas être "entre hommes", peut-être parce que je l'avais trop été (en internat), peut-être parce que ma timidité m'interdisait de m'y comporter de la manière attendue. Mais aussi parce que je sentais confusément que l'ambiance entre hommes a quelque chose de faux. On y ment, et on se ment. Les généralités sur "les femmes " me crispaient. De même les obscénités, plaisanteries grasses etc. me faisaient mal, sans que je sache encore très bien pourquoi. Le féminisme m'a conforté dans ce dégoût, en lui donnant une légitimité, et en me faisant comprendre quel mépris ou quelle peur recouvrent ces comportements masculins. Plus anecdotique : il m'a permis de n'avoir pas trop honte de mon ignorance crasse en mécanique, et de mon désintérêt à peu près entier pour les sports d'équipe ! C'est toujours la même rupture, avec un milieu, une culture, une éducation.

Mais on ne guérit jamais tout à fait de son enfance. Le modèle ancien m'imprégnait. Une part de moi aurait sans doute souhaité s'y conformer. J'aurais aussi voulu être un sportif, un conquérant, un séducteur, un chef etc..., affirmer d'une manière ou d'une autre une domination, une supériorité. D'où des conflits intérieurs, des exaspérations, des incompréhensions, etc. Il est difficile, voire parfois douloureux, ne ne pas tenir les rôles auxquels on a été préparé. Ce n'est que plus tard, par ma compagne, que je l'ai compris. J'ai pu, plus ou moins bien, surmonter ces contradictions. Le féminisme m'a donc donné une clé pour entrer en moi-même et ne pas y être entièrement perdu. La connaissance de soi ne se fait que par des remises en question. Le féminisme m'a permis d'avancer dans cette connaissance. Je crois qu'il a été, qu'il est toujours, un des chemins d'un certain accomplissement, très imparfait certes, et qui ne sera jamais achevé. Grâce à lui, je peux ne pas trop mépriser ni moi-même ni mon parcours. Je peux considérer qu'il figure au nombre des deux ou trois choses que je n'ai pas trop ratées...

Enfin, se connaître soi-même, c'est aussi mieux connaître les autres, et mieux vivre avec eux. À travers ce que je lis, entends, à travers nos discussions, j'ai l'impression d'avancer dans la découverte de ce qui était pour moi un "continent noir", les femmes. J'ai certes été sensible très tôt aux stéréotypes, et aux manifestations de sexisme les plus outrées. Mais je n'avais pas toujours compris, et moins encore ressenti, les souffrances qui en découlent… Je crois donc qu'à travers lui, c'est le monde que je perçois autrement, que je ressens autrement, avec plus de richesse, et plus de justesse.

Je pourrais dire que mon "féminisme" a donc été d'abord concret, je voulais qu'il se traduise surtout dans les gestes quotidiens, ce qui somme toute a encore un relent de machisme. (Cela a pour certains l'air d'une faveur : "je t'octroie le privilège de me voir te faire la vaisselle !") Il est ensuite devenu plus intellectuel, plus abstrait. Il devient plus sensible, et donc plus vrai : c'est un peu comme si je me débarrassais enfin de scories machistes bien encombrantes…

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commentaires

G
Merci pour ce beau texte dans lequel je me reconnais énormément. Je me souviens de ma tête ébahie lorsque Florence Montreynaud m'a proposé, dans les années 90, de rejoindre son groupe féministe. Je l'ai pourtant fait et je m'en suis toujours félicité, même si j'ai peu milité, étant parti vivre en province entre temps. Bravo à vous et merci
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I
La clase ! Merci de tant de démarche lucide. eT quel bonheur de rencontrer des hommes un homme - <br /> pour un monde ou l'humanité atteindra son processus d'humanisation.
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