LA PUCE DE LA SEMAINE
Point de départ: Rodilhan. Point d’arrivée: l’abolition, on vous attend!
Mis en ligne le mardi 21 février 2012
Le 11 février 2012 a eu lieu une manif historique, organisée par Animaux en péril (Belgique, www.animauxenperil.be ), le
CRAC Europe, Comité Radicalement Anti Corrida pour la protection de l’enfance (www.anticorrida.com ), Droits des animaux (www.droitsdesanimaux.net ) et le collectif Non à la honte française! (www.patrimoine-corrida.fr ), représentant 179 associations, soit un potentiel de 500000 électeurs. Nous étions 4000 au plus fort de la manif, le cortège s’étalait sur plus de 500 m,
pour un long parcours de 6 km, de l’Assemblée nationale au Trocadéro. Courant janvier, j’avais été contactée, en tant que porte-parole nationale du CRAC Europe, par une revue de protection
animale afin de répondre à dix questions, dans un entretien avec Brian Simard, cofondateur de la revue Terrible, qui a été transcrit sous une autre forme. Je vous livre le tout à l’état initial.
Précision sur les réponses: Hélène Vaquier, présidente du CRAC Europe, a répondu à la 3, Jean-Pierre Garrigues, vice-président, à la 8 — c’est ça, une équipe!
1. Quels sont les objectifs de la manifestation du 11 février?
Cette manifestation, unitaire, a pour objectifs le retrait de l’inscription de la corrida du patrimoine culturel français, la condamnation par la justice du lynchage des anticorrida à Rodilhan (8
octobre), et le maintien de la pression sur les candidats à la présidentielle afin que figure l’abolition de la corrida dans leur programme. Tous à Paris le 11 février à 15 heures devant
l’Assemblée nationale, pour un départ vers le Trocadéro avec le CRAC Europe pour la protection de l’enfance (www.anticorrida.com ) et le
collectif Non à la honte française! (www.patrimoine-corrida.fr ), qui regroupe 179 associations. Un événement inédit, mis en scène
par des intermittents du spectacle, attend les participants. Soyons nombreux à dire NON à la barbarie des arènes!
2. En dépit d'un fort soutien populaire, le mouvement abolitionniste rencontre l'indifférence des politiques: quelles sont selon vous les raisons de ce mépris (électoralisme,
fric)?
Les politiques sont souvent en retard sur le peuple. Les raisons sont faussement électoralistes, puisque les Français sont quelque 70% contre la corrida. Cette frilosité s’explique sans doute par
une crainte irraisonnée d’un électorat qui n’est que régional et ne constitue qu’une faible partie de notre territoire, puisque le Sud est également majoritairement contre la corrida. La preuve:
Jean-Marc Roubaud a été élu député du Gard bien qu’il soit abolitionniste…
3. L'UMP et le Parti socialiste comptent autant d'abolitionnistes que d'aficionados. Pourtant, et ce, en dépit des pétitions et autres mobilisations populaires grandissantes, la droite
classe la corrida au patrimoine, la gauche refuse catégoriquement de placer l'abolition au programme des élections et la zone où se déroulent les corridas s'est agrandie ces dernières années. La
lutte contre la tauromachie ne serait-elle pas seulement une histoire de volontarisme arbitraire, hermétique à l'idée de représentation citoyenne? (Cf. le cas des maires abolitionnistes.) Aussi,
quelles sont pour le moment les victoires concrètes des mouvements anticorrida?
Sans plaisanter, en France, aucune! Le somptueux papillon abolitionniste n’est pas encore né, mais les chrysalides, les cocons, les chenilles sont là, nombreux! Les arènes sont toujours ouvertes
aux mineurs, il existe toujours des écoles de tauromachie, même si certaines ont plié boutique, même si les effectifs des enfants inscrits diminuent. La torture des taureaux dans l’arène est
toujours tolérée en France. D’un point de vue législatif, rien n’a changé depuis des années. Et pourtant nous avons l’intime conviction que cette lutte avance. C’est une énergie souterraine qui
finira forcément par remonter très concrètement à la surface. Nos victoires, car il y en a heureusement, sont, pourrait-on dire, psychologiques. À savoir, des élus de tous bords ont trouvé la
force de concrétiser sous forme de propositions de loi leur conviction abolitionniste: en huit ans, cinq ont été déposées, soutenues par plus de 110 députés et plusieurs sénateurs. Le peuple
français est de mieux en mieux informé de la sombre réalité de la corrida, les militants, de plus en plus nombreux, s’organisent efficacement. Des conseils municipaux déclarent leur ville
anticorrida. On ose de plus en plus affirmer la farouche opposition aux corridas, sans pour autant passer pour des rabat-joie. Des maires susceptibles d’organiser des corridas réfléchissent à
deux fois avant de se lancer dans la torture des bovins et de siphonner l’argent public. Le pic du maximum de corridas organisées dans l’année a été en 2004 (137), on constate depuis une baisse
régulière. Le combat contre la corrida irait bien sûr plus vite si le peuple avait l’occasion d’être à l’origine de textes législatifs débattus à l’Assemblée nationale. Courage, nous serons
bientôt en démocratie!
4. Que répondez-vous à ceux qui évoquent justement la notion de patrimoine culturel?
Comme l’ont scandé les Espagnols de Catalogne qui ont aboli la corrida en juillet 2010, abolition effective depuis le 1er janvier de cette année: «¡Tortura no es cultura!» Torturer à
l’arme blanche un bovin ne peut en aucun cas être qualifié de «culture»… sinon par des barbares. Ces cruautés d’un autre temps sont indignes de notre XXIe siècle, et n’ont aucunement leur place
dans notre patrimoine.
5. Une autre partie des détracteurs (dont visiblement l'équipe de campagne de François Hollande!) prétend qu'il s'agit là d'une cause superficielle en comparaison d'autres préoccupations
humanitaires, jugées plus importantes (crise économique, famine, sans-abri...). Que dire de cette mise en compétition des causes éthiques/politiques?
Pour certains esprits, il y a et il y aura toujours d’autres priorités que de se préoccuper du sort des animaux. Comme s’ils craignaient que la compassion envers eux n'enlève de leurs droits aux
humains. Qu’en dire, sinon que c’est tout le contraire, que nous partageons la même planète et que nous avons des devoirs envers ceux que nous nommons nos «frères inférieurs»? Albert Jacquard,
grand généticien et un des présidents d’honneur de notre association, estime que l’humanité aura fait un grand pas lorsque la corrida sera abolie… C’est une urgente nécessité.
6. Dans le même genre, d'autres mettent en perspective le nombre de taureaux victimes de corridas avec celui des animaux d'abattoirs, et comparent le sort des bêtes dans les deux cas
(existence idyllique pour les premiers, sordide pour les autres) — je pense par exemple à Francis Wolff. Que répondez-vous à ces contradicteurs, et quels rapports entretenez-vous avec les autres
mouvements de protection animale?
Cela n’a aucun rapport. Les animaux destinés aux abattoirs sont tués pour la consommation, et, contrairement à la corrida, il n’y a pas de public qui paie pour assister à leur mise à mort. Au
CRAC Europe, nous sommes une majorité de végétariens au conseil d’administration. Ce n’est pas le sujet? Nous en sommes bien d’accord, et pourtant nous entendons couramment nos détracteurs nous
reprocher, «vous mangez bien de la viande!», comme si être carnivore interdisait d’être contre la barbarie tauromachique. Ce n’est évidemment pas le cas, et nous comptons des bouchers
abolitionnistes parmi nos adhérents. Quant aux fameux taureaux dits «de combat», ils ne constituent pas une «race» à part: 90% d’entre eux vont à l’abattoir, 10% aux arènes… quoi que prétendent
les éleveurs. Les autres viennent d’Espagne. Quant à nos rapports avec les autres associations, le CRAC Europe a réuni, au lendemain de l’annonce de l’inscription de la corrida au patrimoine
culture, un collectif, Non à la honte française!, composé de 179 associations, françaises et étrangères, qui nous a soutenus et s’est joint à nous le 28 mai, et qui fera de même pour la
manifestation unitaire du 11 février. Quelle était votre question, déjà…?
7. Que dire du financement de la corrida?
Elle ne subsiste que par l’octroi de subventions, municipales ou territoriales, donc «grâce» à l’argent des contribuables, volontaires ou non, mais qui paient de gré ou de force, plutôt de force.
Malgré tout, elle est la plupart du temps déficitaire. À titre d'exemple, à Bayonne, dont le maire, Jean Grenet, coprésident du groupe d’études sur la tauromachie à l’Assemblée nationale, est un
aficionado acharné : 400000 euros de déficit pour la saison dernière, près de 1 million d’euros sur cinq ans. UN MILLION!
8. Que s'est-il passé à Rodilhan?
Lors d’une manifestation pacifique dans le petit village de Rodilhan, près de Nîmes, le 8 octobre dernier, où avait lieu la finale de «Graines de toreros», 95 militants pacifiques ont été lynchés
par la horde des aficionados qui, tout en tabassant des citoyens sans défense, se réclamaient du patrimoine français ! Voilà l’une des conséquences du classement, effectué en janvier 2011 en
catimini, de la corrida au patrimoine culturel immatériel de la France. Le petit monde de la torture codifiée y a vu un signal fort du gouvernement, une caution morale. Les aficionados ont
démontré que, lorsque l’on est capable de torturer des animaux, on peut également se défouler sur des humains: 68 plaintes ont été déposées auprès du procureur de Nîmes. Des militants ont été
dépouillés d’effets personnels, deux jeunes femmes ont subi des attouchements sexuels, 28 personnes ont eu des ITT, dont 5 supérieures à 8 jours. Les élus locaux présents, dont Jean-Paul
Fournier, sénateur du Gard et maire UMP de Nîmes, ont fait preuve d’une passivité indigne. Certains, comme le maire de la commune, Serge Reder, ont participé au lynchage. Nous les poursuivons
pour “non-assistance à personne en danger” et “incitation à la haine”. Un procès sans précédent s’annonce à Nîmes dans les mois qui viennent. Et les amateurs de torture ne manqueront pas de se
réclamer du classement de cette ignominie au patrimoine culturel français, comme l’a déjà fait le maire de Nîmes.
9. Le nom de votre association comporte la mention «pour la protection de l'enfance»: quelle en est la signification pratique? Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les écoles taurines
et autres «Graines de toreros»? Où en est cette partie du combat?
Dans ces « écoles », on n’y apprend pas les fables de La Fontaine… Notre association milite pour la fermeture de toutes les écoles taurines, dont l’objectif est de former de
futurs toreros. Dès l’âge de dix ans, on enseigne à de jeunes enfants « l’art de tuer ». Ils s’entraînent sur de jeunes veaux, de moins de deux ans, et, chaque année, les «meilleurs»
matadors en herbe participent à un concours, la finale de «Graines de toreros». C’est un véritable carnage, les veaux hurlent leur souffrance. En 2004, on comptait neuf écoles, il n’en reste
aujourd’hui que trois ou quatre — les plus connues étant celles de Nîmes (deux écoles) et d’Arles. Il est très difficile de le savoir précisément, le mundillo — petit monde de la
tauromachie — ne communiquant pas clairement sur le sujet.
10. Comment les gens peuvent-ils aider la cause?
Déjà, en n’allant jamais voir une corrida, même pas par curiosité! La barbarie des arènes perdure du fait des touristes, car, même si beaucoup de spectateurs quittent les arènes avant la fin,
écœurés par ce «spectacle» de torture, il y a malheureusement toujours de nouveaux venus qui sont attirés par la publicité éhontée qui en est faite. Indispensable pour vraiment aider à obtenir
l’abolition : adhérer aux associations… au CRAC Europe, par exemple! Nos actions, parmi lesquelles nos campagnes d’affichage annuelles, très percutantes, ne sont possibles que grâce aux
dons. Ils peuvent également participer aux manifestations, distribuer des tracts, faire un gros travail d’information, indispensable. En France, beaucoup ignorent encore qu’une corrida, ce sont
six bovins qui sont torturés à l’arme blanche durant vingt minutes, que les banderilles qui s’enfoncent un peu plus dans les chairs à chacun de leurs mouvements les font horriblement souffrir,
avant d’être achevés, avec plus ou moins d’adresse.
• www.anticorrida.com
Luce Lapin
18 février 2012
• www.charliehebdo.fr