Une contribution de Daniel Labeyrie
J’ouvris les yeux, je vis l’étoile du matin
Elle resplendissait au fond du ciel
Victor HUGO
Cette année-là, décembre était grincheux, austère, habillé d’un manteau de grisaille dont il ne parvenait pas à se défaire. Le soleil, presque toujours caché, offrait ses rayons à d’autres contrées peut-être plus méritantes.
Les nuits ne laissaient guère la lune se montrer. Le silence nocturne n’était que rarement brisé par l’appel d’un chat-huant dans les lointains. Les bourrasques habituelles n’étaient pas non plus au rendez-vous.
Une nuit de lune noire, il se produisit un drôle d’évènement dans les confins de notre galaxie. Dans leur observatoire chilien, les astrophysiciens plongés depuis des lustres dans l’observation des espaces intersidéraux, remarquèrent qu’une étoile s’était échappée d’un immense trou noir, ce qui n’était encore jamais arrivé. Il s’agissait d’une étoile à faible rayonnement.
Au lieu de se désintégrer, elle se dirigea vers la Terre tout en perdant progressivement sa taille et sa luminosité. Les astronomes aguerris furent rassurés par sa petitesse quand elle pénétra dans l’atmosphère. Ainsi, il n’y avait aucun risque d’explosion ou de disparition de la planète bleue occasionnée par la collision avec l’objet céleste. Au contact de la stratosphère, ils la perdirent totalement de vue. Ils préférèrent ne pas divulguer l’information aux chefs d’état des grandes puissances afin de ne pas déclencher la moindre panique.
Par un drôle de hasard, quelques jours plus tard, la veille de Noël, les diaconesses du Moutier, modeste communauté religieuse, préparaient la veillée de Noël. Le temps était doux, la neige et la burle n’étaient pas au rendez-vous, donc les humains se déplaçaient sur routes et chemins, tout en vaquant à leurs occupations habituelles.
Sœur Samuel, voile et cheveux au vent, chevauchant son pur-sang, allait donner du fourrage à son troupeau d’équidés chaque matin aux premières lueurs de l’aube sans oublier de prononcer quelques mots fraternels à ses chevaux adorés. Son voisin, le fermier, luit dit qu’il avait aperçu une énorme luciole dans un fossé, chose guère possible en cette saison. La religieuse se demanda si l’homme ne lui racontait pas des fadaises. Le paysan retourna sur les lieux, vit de l’herbe brûlée tout autour de cette étrange lumière mais se désintéressa de la chose, estimant que ce phénomène le dépassait.
Quelques nuits plus tard, deux jeunes à moto, revenant d’une rave-party, furent éblouis par un objet lumineux aperçu sur la bas-côté de la route. Ils mirent pied à terre, restèrent à une certaine distance de la petite étoile d’où émanait une certaine chaleur. Ayant vidé de grosses quantités d’alcool lors de la soirée dansante, leurs facultés mentales ne leur permirent pas d’analyser objectivement cette découverte. Ils se remirent donc en route pensant qu’ils avaient été victimes d’une hallucination.
Un pilier de bistrot, passablement éméché, essaya de donner un coup de bâton à cette lumière incongrue gisant dans le fossé mais ne put viser sa cible.
Des garnements, faisant l’école buissonnière (ils avaient dit à leurs parents que l’école était fermée pour cause d’épidémie de coronavirus) la dédaignèrent pensant qu’il s’agissait d’une lanterne non éteinte. Le curé du village effectuant sa marche quotidienne, la regarda du coin de l’œil, se signa pensant qu’une seule lumière mérite d’être reconnue : la lumière divine.
Une nonne bouddhiste, ermite à ses heures, tellement concentrée dans ses mantras, ne vit même pas l’étoile déchue. Un moine orthodoxe, de noir vêtu, débita des litanies pour essayer d’éteindre la source lumineuse qu’il pensait d’origine diabolique. Un chasseur en treillis pourchassant un malheureux chevreuil visa l’étoile mais sa balle fut déviée vers un piquet de clôture qui fut brisé en deux.
Une petite fille d’une dizaine d’années, nommée Stella (drôle de coïncidence), éblouie par la luminescence de l’étoile, la contempla longuement, lui demanda les raisons de sa présence dans ce sinistre fossé boueux. Le minuscule astre céleste ne répondit pas mais réagit instantanément par une augmentation soudaine de sa luminosité. L’enfant, autant fascinée qu’éblouie par l’intensité de la lumière émise, demeura fort longtemps sur les lieux, oubliant qu’elle devait passer à la boulangerie pour acheter un pain au sésame.
Quand elle rentra chez elle, elle fit part à ses parents de sa découverte : les adultes, perplexes, allèrent sur les lieux le lendemain matin, constatèrent la véracité des propos de leur fille. Ces braves gens, très proches de la communauté des sœurs, proposèrent d’aller chercher l’étoile en compagnie de l’ambulancier du village pour ramener la « luciole extraordinaire » afin de l’installer au-dessus de la crèche. Il fallut prendre d’extrêmes précautions pour transporter l’infortunée, la hisser au-dessus d’un pilier du saint lieu sans se brûler les mains et le corps.
La veillée de Noël, fut extraordinaire : dehors il gelait à pierre fendre tandis qu’à l’intérieur de la maison de Dieu régnait une douce chaleur venue d’un coin perdu de notre galaxie. La lumière stellaire se répandit dans les yeux des anciens, des humbles ouvriers aux mains calleuses, des jeunes enfants, des mamans fatiguées par le labeur, des bébés dans leurs landaus, des fermiers burinés, des pèlerins de passage, des pauvres hères sans feu ni lieu, des religieuses de la communauté. Des cantiques furent chantés à tue-tête pendant la cérémonie. Cette nuit-là deux petites étoiles rayonnèrent dans le regard de l’Enfant-Dieu.
Le lendemain, à l’aube frisquette, légère et discrète comme une plume d’oiseau, l’étoile s’éclipsa par une petite fente d’un vitrail pour rejoindre l’étoile du berger dans la lumière des cieux.