Ce devait être, je pense au printemps 1965. Deux copains de classe de quatrième et moi-même avions décidé de nous engager contre la faim en Afrique en nous attachant à une action précise. Il s'agissait de collecter de l'argent qui financerait un projet. Je penchais pour une plantation d'arbres afin de contribuer à empêcher le désert d'avancer. Mes deux copains, Pierre-Yves et François en tenaient pour un forage de puits au Dahomey. J'étais minoritaire, va pour le puits, va pour le Dahomey! Un jeudi après-midi, nous avons pris le métro parisien pour nous rendre au siège de l'association humanitaire qui nous avions choisie. Nous avons tapé à la porte du bureau, sommes entrés timidement. Deux personnes étaient dans la pièce : le permanent de l'organisation, de face, et de dos Leny Escudero. Lorsqu'il s'est retourné et que nous l'avons reconnu, la timidité est encore montée de quelques crans. Nous avons assisté à la fin de sa rencontre avec le permanent. Au sommet de sa gloire et de son succès, il avait décidé de s'absenter de France pendant deux ans, de partir en Afrique pour aider les gens là-bas. Ce jour là, il venait prendre les derniers renseignements qui lui étaient nécessaires. Nous l'avons vu se lever, nous serrer la main, nous gratifier de son sourire rayonnant. Je vois tout ça comme si c'était hier. D'ailleurs, c'était hier.
Autre souvenir, plus proche : Ce devait être au début de 1992, la présidente du Collectif contre l'axe E7 avait écrit à nombre de musiciens et chanteurs pour leur demander de nous soutenir dans notre combat contre le tunnel du Somport en venant chanter après la manif du mois de mai. Bien peu avaient répondu. Au mois de mars, nous étions une trentaine de personnes à effectuer une action symbolique pour la réouverture du Pau-Canfranc. Armés de houes, de faux, de faucilles, de pioches, de serpes, nous dégagions les rails de tout ce qui les encombrait, et ceci sur quelques centaines de mètres. Pas de chance, il neigeait à gros flocons et nous étions engoncés dans nos anoraks, nos bonnets, nos écharpes, nos gants.. France 3 était là et le soir, nous passions aux informations nationales. Le lendemain matin de bonne heure, le téléphone de la présidente du collectif sonnait. Au bout du fil, c'était Leny qui avait oublié de l' appeler et s'était "réveillé" en regardant les infos de la veille, touché par notre volonté et nos efforts. Il se confondait en excuses. Il est venu à la manif, avec ses musiciens, il ne voulait pas un centime, même pour le voyage. Malheureusement, le rassemblement s'est terminé dans la confusion. Les heurts entre manifestants et forces de l'ordre ont retardé l'évacuation. Il était tard, beaucoup venaient de loin, devaient prendre les bus. La fête prévue le soir a été avortée et Leny et ses musiciens se sont produits devant quelques dizaines de personnes. J'en faisais partie, sur le stand des Verts du Pays Basque, où nous fabriquions des talo (galettes basques à base de farine de maïs). Nous sommes allés leur en offrir aux alentours de deux heures du matin. Malgré le froid cinglant, la pluie battante qui s'engouffrait sous le chapiteau, malgré la fête ratée, ils étaient aimables et souriants. Nous l'avons donc été nous aussi et je ne saurais oublier ces moments.
J'habite tout près ( à vol d'oiseau) d'Espinal où il est né.
Merci Leny.