Une contribution de Daniel Labeyrie.
Ce n'est pas parce que je suis un vieux pommier que je donne de vieilles pommes . Félix LECLERC
Cette année, novembre se pare d'une infinie douceur et les grandes pluies semblent bien loin de nous. L'hiver, peut-être est-il en train d'affûter ses dagues pour nous monter de quoi il est capable.
Les ballets de feuilles mortes virevoltent avec la légèreté de jeunes ballerines et le rouge-gorge , plutôt discret, ne lance guère ses trilles un brin mélancoliques.
La cueillette des pommes est terminée depuis une quinzaine de jours;
les cageots s'amoncèlent dans le cellier : bien sûr, il faut veiller à jeter les nombreuses pommes pourries dans le tas de compost où zonzonnent des hordes de frelons ventripotents.
Allant et venant dans le verger avec une scie d'une autre temps pour élaguer ici et là quelques fruitiers, je me suis retrouvé nez à nez avec mon vieux pommier « museau de lièvre », un délaissé, caché derrière un épicéa envahissant et un prunier farouche.
Je dois dire que j'avais envisagé de supprimer cet arbre malingre âgé de plus de trente ans et dont le houppier ne faisait pas montre d'une très bonne santé. La récolte de pommes de cette antiquité étant quasi inexistante, je ne faisais guère preuve à son égard d'une grande bienveillance.
Jetant un œil distrait sur cet arbre, j'ai aperçu une pomme unique accrochée à l'une des plus hautes branches : ce fut une telle surprise qu'il s'est opéré en moins un grand changement . Pourquoi vouer aux gémonies un pommier peu productif, pourquoi détruire un arbre innocent ?
La pomme en question n'étant pas à portée de main, je suis monté sur une échelle pour cueillir délicatement le petit joyau suspendu sur une « maîtresse branche ».
J'ai procédé immédiatement à un élagage des branches gênantes des arbres voisins pour que mon rescapé puisse couler des saisons heureuses et jouir d'un meilleur ensoleillement.
La voici sous mes yeux comme un trésor posé précautionneusement sur le marbre de la commode de ma chambre : elle est de taille dérisoire, difforme, son calibre est hors norme. Sa couleur dominante est le vert avec une partie légèrement colorée d'un rouge discret.
Il ne reste plus qu'à attendre la maturation de ma chère pomme « museau de lièvre »: je suis même prêt à vous en offrir un quartier.
Daniel LABEYRIE