Une contribution de Daniel Labeyrie
« L’âme est une espèce à protéger », disiez-vous il y a quelques semaines. En toute légèreté, votre belle âme s’est glissée dans vos mots et de là s’est glissée dans la nôtre.
En ces jours gris de novembre, vous nous laissez, hagards, en chagrin, sur le quai de nos destinées. Le canon gronde, ça génocide, ça trucide : les maîtres du monde font feu de tout bois, de la forêt des arbres à la forêt humaine. Les têtes tombent, comme tombent les arbres, comme tombent les oiseaux, comme tombe en morceaux la fraternité.
Monsieur Bobin, dans le pire du pire, dans les affres des désastres, vous vous penchiez sur un brin d’herbe, vous saluiez le merle à votre fenêtre, vous vous accordiez à la beauté souvent cachée dans l’infiniment petit.
Un visage dans la rue, un regard, un geste de la main, une glycine fleurissant sur un mur, une caresse maternelle, des tourterelles perchées sur un tilleul, une feuille qui tombe en tourbillonnant… tout est matière à contemplation. Rechercher l’infime brin de beauté dans le chaos, fut votre art de vivre. Vous vous êtes employé à réenchanter le monde avec l’innocence d’un enfant et la sagesse d’un ermite.
« J’écris pour qu’on puisse à nouveau ressentir le frôlement de l’invisible dans le visible » : quel beau dessein de vie!
Que demander à un écrivain si ce n’est de réparer nos brisures, nos déchirures, d’adoucir nos tenaces mélancolies !
Un bouquet de muguet rouge, votre ultime cadeau : pour nous un viatique, une pause de silence et de beauté dans le fracas du monde.
« Si l’on a été enfant sur cette terre, si on a eu au cœur une espérance que rien ne pourrait déraciner, comme une petite fille qui est si heureuse, qu’elle a son cœur dans ses yeux, comme l’eau qui saute d’un seau, ne serait-ce qu’en contemplant l’éclat d’un œil de chat ou d’une bille, alors on a aperçu même de très loin cet invisible dont certains écrivains parviennent à s’approcher » (La lumière du monde).
Bibliographie
Le Muguet Rouge, éditions Gallimard
Les Différentes régions du ciel, Quarto Gallimard
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