De fureur et de cristal
Une contribution de Daniel Labeyrie
Sale temps, mon vieux Dan, les Pyrénées sont en tempête, les torrents charrient des pierres dans leurs eaux glacées et chez nous dans nos vallées, nous n’en menons pas large, ça pleure dans les entournures.
Nous ne sommes vraiment pas très nombreux à te pleurer mais qu’importe, tu nous laisses une flopée de bouquins où ton souffle poétique nous apaise tout en balayant les scories des massacreurs de liberté.
Je viens d’apprendre que tu t’es fait la malle il y a déjà quelques mois, bon sang, je n’ose pas y croire mais ton dernier livre « Tout doit disparaître » sentait non pas le sapin mais fleurait ta dissolution dans le Grand Tout cher au taoïste que tu fus.
Le banc du Champ de Mars (faudra changer ce nom) à Saint-Girons est bien vide : tu aurais plaisir à savoir que les moineaux et les mésanges vont en prendre possession. Leur chant vaut mille fois la logorrhée ambiante que l’on nous sert jusqu’à la lie.
Sacré poète, sacré libertaire, tu n’as pas démérité en pourfendant cette époque pourrie où les dictateurs cravatés mettent la planète à feu et à sang. Si tu voyais le tableau de ces derniers mois, tes cordes vocales et ton palpitant seraient soumis à rude épreuve.
Cette politicaille, que tu abhorrais, continue à sévir droite dans ses bruits de bottes, massacre sans foi ni loi les moindres oasis, les moindres clairières.
Le bruit et la fureur règnent sans partage mais cher vieux Dan, sache que nous ne courberons pas l’échine ni ne mettrons des muselières à nos chants.
Ciao, vieux frère, plongeons-nous dans les cristaux de ton œuvre, drapés bien au chaud dans l’écrin de tes colères salutaires.