27/01/2010
Bonjour, je m'appelle T... et je suis noir comme l'ébène. J'ai été amené ici à Bayonne comme jadis furent importés les noirs d'Afrique pour servir d'esclaves. Je suis condamné à mort par la force des choses, condamné par un déterminisme crétin que certains nomment tradition tandis que d'autres préfèrent le mot «aficion». Mais tous s'accordent à dire que je mourrai en brave ce soir dans les arènes de Bayonne.
Je suis le roi de leur jeu, leur bête à mourir, je suis un taureau.
Bientôt quelques milliers de personnes fouleront ces arènes, fantasmant ma mort, scandant ci et là quelques Olé ridicules, réclamant à corps et à cris encore plus de sang. Je serai leur exutoire, leur machine à jouir, je serai leur pute d'un soir.
La corrida, c'est leur passion. Ils l'évoquent avec délectation, introduisant quelques mots d'espagnol pour l'ambiance. Ils sont aficionados, s'inscrivent dans des peñas, ne peuvent imaginer leurs fêtes de Bayonne sans une corrida.
Ils sont fiers de leur tradition.
Peut-être ont-ils tous la nostalgie de cette année 1941 où le maréchal Pétain offrit ici même, dans les arènes de Bayonne, une corrida aux troupes allemandes en signe d'allégeance ? Peut-être ne savent-ils pas que la corrida fut longtemps interdite en France pour cause de cruauté ? Même les républicains espagnols l'interdirent en 1937 avec pour slogan : «un torero en moins, un fasciste en moins».
Peut-être ne savent-ils rien de tout ça. Ils sont là presque par hasard, enfants perdus d'une tradition qui n'en a jamais été une. Ne sont-ils pas tout simplement victimes d'un lobby parfaitement orchestré ?
Car la corrida, c'est la tradition de quelques-uns, d'un quarteron d'irréductibles imbéciles qui imposent au Pays basque entier leur abjecte passion.
Je ne veux pas mourir pour ces cons.
Je ne veux pas mourir sur cette terre basque pour quelques tristes personnes qui vont hurler comme des sauvages pour savoir si l'on doit me couper la queue ou les oreilles. Ils jouiront au passage de mes oreilles sanguinolentes tendues à bout de bras par le torero. Quel spectacle affligeant !
Et oui, lorsque la barbarie revêt ses habits de fête, elle devient acceptable, voire même morale. Pourtant, elle n'est que le reflet narcissique d'une certaine cohorte réactionnaire. Au nom de la tradition, mot réduit à une invocation magique et sans aucun fondement, la corrida s'est transformée aujourd'hui en culture officielle et imposée.
Je vais donc mourir pour quelques-uns dans l'ignorance et l'indifférence.
Il reste juste à savoir, vous les hommes, ce que vous ferez de ce savoir guerrier, de cet héritage sanglant.
Vous qui vous délectez de la mort de l'autre. Vous qui voyagez en barbarie comme nous paissons en liberté dans les champs.
Je crois juste que vous vous faites la main sur nous en attendant de l'exercer sur vous-mêmes.
Paru dans "Le Journal du Pays Basque" http://www.lejpb.com/
Pour info, Patxiku est libraire à Donibane Garazi (Saint Jean Pied de Port). http://arpel.aquitaine.fr/spip.php?article100001198
Il est également l'auteur de "Trois fuites"