Une contribution de Gérard Roy.
C’est toutes les fois pareil : il suffit que j’aie envie de dire ou d’écrire quelque chose pour que, dans les jours, voire les heures, qui précèdent un passage à l’acte toujours un peu lent au démarrage, quelqu’un le dise ou l’écrive à ma place - et mieux que je ne l’aurais fait, en plus ! C’est rageant et vexant, à la fin ! Du coup, je remballe mes velléités d’expression et rumine mon désappointement. À moins que je ne m’obstine, auquel cas je ne fais guère que paraphraser (en moins bien, cf. supra) le discours de celui ou de celle qui a été plus rapide que moi, et les gens se disent à juste raison qu’ils ont déjà lu ou entendu “ça” quelque part...
Pareille mésaventure vient juste de m’arriver... Il y a un moment que ça me démange de confier, une bonne fois pour toutes, ce que m’inspirent ceux qui votent pour un parti d’extrême droite - que ce soit le FN chez nous ou n’importe lequel, ailleurs, de ses douteux semblables. Eh ! bien, une fois de plus, je me fais coiffer au poteau. Et doublement ! Et de quelle façon !...
Mercredi 23 mars, France Inter, chronique matinale de Sophia Aram (1). Résumons : après la poussée lepéniste aux cantonales, on nous dit qu’il faut arrêter de culpabiliser les électeurs du FN, qui sont soit des gens malheureux, soit des gens en colère, soit des gens qui ont peur. Ma foi, constate Sophia, “si on n’a plus le droit de dire que ce sont des gros cons, c’est quand même pas mal imité. [...] Et c’est pas parce qu’ils sont nombreux que ça leur donne raison. [...] Avec les gros cons, quand il y en a un, ça va ; c’est quand ils sont plusieurs que ça pose problème.” (2)
Le même jour, dans Charlie Hebdo, double salve anti-gros cons tirée par un Charb survolté. Un dessin montre un mouton glissant dans l’urne un bulletin frontiste sous le slogan : “Connard, vote pour ton bourreau.” Et une chronique - qu’il faudrait citer in extenso - règle leur compte à tous “les racistes frustrés, les réacs honteux, les fachos rentrés, les ratés aigris” et toute la masse des “déçus”, assimilés à... devinez quoi... “des sales cons incapables d’aucune analyse politique”, “des impuissant[s] qui préfère[nt] castrer les autres plutôt que de se soigner.”
J’en entends d’ici se récrier, outrés. Tu parles d’une analyse politique ! Des propos de Café du Commerce, oui !
Ah ! bon ? Parce que vous croyez vraiment qu’elle pisse plus loin, l’analyse qui fait des électeurs frontistes de braves gens qui “se trompent de colère” ? Des gens comme vous et moi, pas plus méchants, pas (beaucoup) plus à droite, simplement un peu plus déboussolés, écœurés, mal dans leur peau et dans la société ? Des victimes, quoi, dont le vote pour Marine Le Pen n’est finalement rien d’autre qu’un appel au secours ?...
Franchement, ça vous branche, cette compréhension, cette compassion dont on fait preuve, de gauche à droite (et même chez les écolos), pour des “désespérés” qui noient leur désespoir dans le vote FN ? Autant il serait idiot de nier la réalité de leurs problèmes (le chômage, voire la misère, l’insécurité - bien réelle ou plus fantasmée -, l’absence de perspectives, la nullité crasse d’une bonne partie du monde politique, etc.), autant il est stupide d’excuser de ce fait l’intolérance et la xénophobie dont témoigne l’adhésion, fût-elle superficielle, aux thèses frontistes. Vous n’êtes jamais tristes ou malheureux, vous ? Jamais en colère ? Vous n’avez jamais peur de l’avenir ? Et quand ça vous prend en période électorale, vous vous précipitez sur le premier bulletin Le Pen qui passe pour manifester la profondeur de votre désarroi ? Si oui, faites-moi signe sans plus attendre, que je vous raie définitivement de la liste de mes contacts !
Ils veulent montrer leur colère, les électeurs du FN ? Mais bon dieu, pourquoi choisir justement ce moyen-là pour le faire ? À la limite, je préférerais qu’ils descendent dans la rue pour tout casser : ce n’est certes pas plus malin, mais ça comporte au moins une prise de risque individuelle dont se garde bien le minable qui vote FN dans le secret de l’isoloir. Et dans les manifs, on le voit, le “mariniste” ? Et s’il veut protester avec son bulletin de vote, pourquoi celui de la bête immonde plutôt qu’un autre ? Dans chaque élection, il y a des candidatures purement protestataires (Mélanchon, etc.) pour lesquelles il n’est au moins pas honteux de voter ; d’ailleurs, l’électeur FN le fait parfois (j’en connais qui ont oscillé de Le Pen à Arlette), montrant par là la profondeur de sa conscience politique, l’essentiel semblant être de choisir, à un moment donné, celui ou celle qui gueule le plus fort... Et le vote blanc ou le vote nul, il n’en a jamais entendu parler, l’électeur du Front national ? Ça ne le défoulerait pas assez, sans doute...
À l’exception des vrais fachos, dont je veux croire qu’ils sont minoritaires dans l’électorat d’extrême droite - mais qui sont les seuls pour qui on puisse admettre (sans l’approuver, bien sûr) le vote FN, puisqu’il est pour eux un vote idéologique, réfléchi -, les gens qui choisissent le bulletin lepéniste au lieu de tout autre ne sont rien d’autre que des irresponsables qui se conduisent en sales gosses capricieux. Le suffrage universel est pour eux un jouet qu’on casse pour montrer qu’on n’est pas content. Des victimes ? Oui, mais de leur connerie.
Une autre fois, je vous confierai mon estime pour les abstentionnistes et, d’une façon générale, pour tous ceux qui préfèrent brailler au bistrot des phrases définitives plutôt que de se bouger un tant soit peu le cul. Marre des déçus de la politique, des déçus de la gauche, des déçus de la droite, des adeptes du “tous pareils, tous pourris”.
Et puis franchement - même s’il n’est pas évident de mobiliser les électeurs en leur disant qu’il y a parmi eux 15 à 20 % de “gros cons” ! -, marre aussi de voir tous les politiques se pencher, les paroles et le regard pleins d’empathie, sur le grand corps malade de l’électorat FN plutôt que d’essayer de le responsabiliser en lui collant le nez dans sa merde. C’est finalement ce que font, à leur place, les humoristes : il y a là une inversion des rôles dont nul ne peu se féliciter.
Gérard Roy
(1) Que je vous conseille d’aller voir sur scène : elle a du culot et du talent, cette petite.
(2) Cette chronique a valu à son auteur de se faire traiter, sur une radio concurrente, de “petite conne” par un Guy Carlier qui fut jadis assez drôle... avant de virer gros con...
29.03.2011