Une contribution de Daniel Labeyrie
Retour au verger
Héroïque petite fauvette !
Jean ANOUILH
En cette fin de matinée du 11 mars, je tiens à signaler au jardinier que je suis de retour, au terme de ma migration hivernale qui m'a permis de survivre dans des contrées plus hospitalières.
Cette matinée peu ensoleillée n'est certes pas des plus agréables mais, quelle joie de retrouver ce cher verger où les mésanges vont et viennent se délectant de la ration hebdomadaire de graisse végétale généreusement offerte par l'ami des oiseaux. Ces volatiles n'acceptent que du bout du bec ma présence car je ne suis qu'une visiteuse de la belle saison.
J'ai lancé quelques trilles mélodieuses alentour, histoire d'informer le printemps de la nécessité de sa venue prochaine. L'abondance de graines dans la petite maisonnette cachée dans le laurier me procure un réel bienêtre après un long et périlleux voyage.
Calfeutré dans sa cuisine tout près des ondoyantes flammes de l'âtre, le jardinier m'a aperçue derrière les carreaux de la fenêtre : il m'a semblé que son visage reflétait une joie non dissimulée à la vue du retour du passereau.
Les écureuils jouent sur les branches du peuplier et le milan royal se querelle avec les corneilles ; tout cela est immuable dans ce coin de campagne.
Amèrement, j'ai constaté que les rangées de platanes longeant la rivière ont été victimes de la tronçonneuse comme quoi, le genre humain éprouve toujours aussi peu de respect à l'égard du monde végétal.
Notre couple commence à envisager la construction annuelle de notre nid : nous choisirons probablement une cachette dans la haie de chèvrefeuille mais personne ne connaitra réellement son emplacement.
J'encouragerai de mes mélodies le jardinier lorsqu'il maniera la bêche dans son potager. J'aime bien me cacher dans les frondaisons car je sais qu'il aimerait bien m'apercevoir mais je j'éprouve un grand ravissement dans mes allées et venues discrètes de branche en branche sans faire montre de mon plumage.
Ces propos doivent sembler dérisoires car je ne suis qu'une fauvette et mon rôle sur cette planète se borne à une existence d'une modestie désarmante.
Je chante, ce n'est pas pour vous déplaire dans ce silence inquiétant des campagnes .
Tout simplement, je vis ma vie de petit oiseau migrateur dans un monde de bruit et de fureur...
Daniel LABEYRIE