Ben oui---- quand-même! Vous voudriez pas aussi?
Le rôle actif et déterminant de l'anxiété sur le destin. Est-ce un sujet qui vous branche?
C'est en tous cas le thème d'une très importante partie des tragédies dans l'histoire de la littérature.
Pour vous en parler, j'aurais pu vous citer la plus célèbre, celle d'un certain Oedipe qui s'est tellement évertué à organiser sa vie pour éviter de coucher avec sa mère et de tuer son père, que
---patatras, c'est justement ça qui est arrivé! Padchance, enfant du malheur, comme disait mon papa!
Je préfère vous parler d'un écrivain que je porte en mon coeur et dans la moindre de mes cellules depuis ma plus tendre enfance. Il s'appelle Henri Pourrat. Il est né à Ambert, en
Auvergne, en 1887 et a quitté ce monde en 1957. Comme pour Jean Giono, beaucoup vous diront qu'il s'agit d'un écrivain "régionaliste", avec un soupçon de mépris dans la voix, quand ce ne
sera pas un mépris appuyé. Ceux-là, tout comme ceux qui le disent de Giono, ne savent pas lire et n'ont rien compris. Et toc! Car l'on ne peut faire plus universels que ces deux écrivains!
Parmi ses oeuvres les plus connues figurent "Vent de Mars" pour lequel il obtint le Prix Goncourt en 1941 et "Gaspard des montagnes" dont le fort regretté Claude Santelli fit en son
temps une superbe adaptation pour l'étrange lucarne.
Le roman de lui qui illustrera le mieux mon propos s'intitule "Le Chasseur de la nuit" (à ne pas confondre avec l'inoubliable film "La nuit du Chasseur", de James Agee et Charles Laughton, avec
Robert Mitchum). Il fut aussi adapté pour la télévision en 1993 par Jacques Renard. L'histoire? Allez---réduite à sa plus simple expression, désossée au maximum : Un homme meurt par une arme à
feu. Sa veuve élève seule leur enfant, un garçon. Elle n'a qu'une obession, une seule, mais de taille: empêcher cet enfant, ce jeune homme, d'approcher d'un fusil, de le prendre en main, de s'en
servir. Et bien entendu, lorsque Célestin arrive à l'âge d'homme--- Inutile de vous faire un dessin, vous avez compris, vous avez vu arriver l'accident de chasse. Padchance, enfant du
malheur!
Moi, je suis une anxieuse, une très grande anxieuse, depuis toujours. Je suis née anxieuse et mourrai anxieuse. C'est bien pour cela que je n'arrive pas à dormir dès que je sais
que je dois être debout à une heure précise, même si c'est 11 heures du matin. Non, mais, vous n'y pensez pas, vous? Si je ne me réveillais pas à l'heure?
J'éprouve de l'anxiété pour la planète, pour les arbres, les oiseaux du ciel, les renards des bois, pour les gens de ma famille même si je n'ai pas de nouvelles d'eux depuis des années, pour
ma fille bien évidemment, pour mes chats, pour mon chien, pour les arbres que j'ai plantés, pour ceux dont la graine a germé après avoir été transportée par le vent, pour les humains
éloignés ou proches, pour les enfants de l'école où je travaille, pour ceux de l'ikastola, pour les associations où j'évolue, pour les Verts, pour les gens que j'aime et même---vous n'allez pas
me croire, pour ceux que j'ai dans le colimateur (enfin, bon, toudmeme--- Sarkozy et Bush, je ne dis pas----).J'en éprouve pour moi-même aussi, c'est la moindre des choses et que celui qui n'a
jamais pèché me jette la premlière pierre.
Alors, j'agis ou plutôt je m'agite, je gesticule. Je suis toujours dans la prévision, la préparation. Je panique devant ces extra terrestres que sont pour moi les gens qui déclarent aimer
travailler dans l'urgence. Je planifie, ou plutôt je tente de planifier. Je concocte des tas de petits gestes pour éviter des catastrophes qu'au bout du compte je fais naître par
dizaines, à plus ou moins long terme. Je suis la spécialiste incontestée de la micro tragédie, de la mini tragédie, de la tragédie tout court. Pas littéraires, non, bien réelles, dans le
charnu du vécu. Je connais d'autres personnes comme moi, mais ce qui me différencie d'eux, c'est que moi j'ai réussi, tardivement peut-être mais mieux vaut tard que jamais, à en prendre
conscience.
Alors, pourquoi donc suis-je en train de vous écrire ça? Et bien parce qu'avant-hier soir, je suis encore partie dans ce genre de "trip" et que, bien entendu, ce que je voulais tant éviter
est arrivé et que ce n'est agréable pour personne, ni pour moi, ni pour les autres.
Je ne vais pas vous raconter l'histoire. Elle n'a "d'intérêt" (et encore!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!) que pour les personnes concernées.Disons que ma révolte est justifiée mais que je n'ai
certainement ni l'art ni la manière.
Mais si j'ai pu vous donner envie de lire Pourrat et Giono, je n'aurais pas perdu mon temps. N'oubliez pas--- Le Chasseur de la Nuit".