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17 novembre 2017 5 17 /11 /novembre /2017 18:54
Benoîtement---

Marie Louise Cadiou, la dernière benoîte du Pays Basque

Une contribution de Richard Ojalvo

 

Le 6 mars 1991 décédait à la maison de retraite de la Fondation Luro, à Ispoure, une vieille dame de 87 ans, Marie Louise Cadiou. A priori rien ne la distinguait des autres personnes du même âge. Pourtant son décès, puis son enterrement, furent largement couverts par la presse écrite, la radio et la télévision locales.

Car cette gentille mamie avait une particularité qui dépassait de très loin sa propre personne : c'était la dernière benoîte du Pays Basque. Et jusqu'à l'âge de 85 ans elle continua à exercer, dans le hameau de Bascassan, non loin de Saint-Jean-Pied-de-Port, cette fonction qui n'existait qu'en Pays Basque, des deux côtés des Pyrénées.

 

Benoîte et benoîterie

Mais qu'est-ce qu'était une benoîte ? C'était à l'origine une auxiliaire active du prêtre. Si elle accomplissait des tâches somme toute classiques - ouvrir et fermer l'église, l'entretenir régulièrement, la préparer pour les services religieux et à l'occasion des fêtes, laver et prendre soin des vêtements sacerdotaux - elle était bien plus qu'une bonne de curé ou qu'un simple bedeau féminin.

En effet elle avait sa place réservée à l'église pour de nombreuses cérémonies - mariages, baptêmes, enterrements - et les services religieux ne pouvaient commencer que si elle était présente. En outre, lors d'un décès, elle jouait un rôle de premier plan dans la toilette mortuaire avec les femmes de la maison et les voisines. C'est également elle qui était chargée de remettre la croix de procession au premier voisin du défunt.

De plus elle sonnait la cloche pour les cérémonies religieuses mais aussi pour éloigner des récoltes, les orages, la grêle, et les maladies, disait à la demande des prières pour le rétablissement des malades et pour assurer le succès de certaines entreprises comme des projets de mariage, réussite aux examens..., enseignait le catéchisme et des rudiments de lecture et d'écriture aux enfants, prêtait assistance aux femmes qui venaient d'accoucher.

On n'a actuellement aucune certitude sur l'origine de cette institution mentionnée au XVIème siècle en Navarre et un siècle plus tard chez nous. Une des hypothèses avancées - au demeurant assez crédible - est que les benoîtes auraient été les derniers vestiges d'une espèce de clergé féminin qui aurait existé dans la religion ancienne des Basques où les femmes jouaient un grand rôle. L'Église catholique, avec semble-t-il beaucoup de réticences, aurait fini par les intégrer à une place subalterne par rapport au prêtre. La hiérarchie ecclésiastique semble d'ailleurs, pendant des siècles, avoir éprouvé un certain malaise à l'égard de cette présence féminine officielle dans les lieux de culte.

Cette institution était au départ très codifiée. Le mode de désignation et de rémunération des benoîtes était clairement défini ainsi d'ailleurs que leurs tâches, leurs qualités morales et religieuses, leur obligation de célibat etc. Elle connut son apogée aux XVIIème et XVIIIème siècle avant d'entrer dans un irrémédiable déclin puis de tomber en désuétude. Prirent alors le titre de "benoîte" des femmes - célibataires ou mariées - qui habitaient simplement la benoîterie, la petite maison située à côté de l'église ou de la chapelle où résidait la benoîte. En échange de ce logement gratuit, elles entretenaient le lieu de culte.

Alors qu'à l'origine chaque village basque possédait sa benoîterie, on n'en comptait plus en tout et pour tout que 28 lors d'un recensement effectué en 1990 dont quatre (celles d' Arbonne, de Bascassan, de Saint-Pierre-d'Irube et de Succos) furent alors classées à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques pour être préservées. Nombre d'autres étaient tombées en ruines ou avaient été détruites dans l'indifférence générale.

 

Marie Louise Cadiou

Si pendant près d'un demi-siècle Marie-Louise Cadiou s'occupa de la chapelle Saint André de Bascassan, elle n'était pas originaire de ce village. Elle venait de Suhescun. C'est là qu'en 1945 elle avait épousé Jean-Baptiste Cadiou, un chaisier originaire de Beyrie-sur-Joyeuse, ce qui lui valut durablement le surnom de "kaderoxa", la chaisière. Jean-Baptiste demeurait déjà à la benoîterie lorsqu'elle vint habiter avec lui et c'est d'ailleurs ce dernier qui était officiellement locataire des lieux. Elle devint donc benoîte un peu par hasard.

Elle avait succédé à ce poste à Gracianne Erdois-Etchverry, appelée familièrement "Gaxiñaño”, une couturière célibataire qui vivait là avec son frère Manex, célibataire comme elle. Elle s'est éteinte presque centenaire à la fin de la Seconde guerre mondiale chez une de ses nièces à Aincille.

Ceci dit Marie-Louise était un personnage qui sortait de l'ordinaire par sa personnalité, son allure - avec son béret noir perpétuellement vissé sur sa tête - et son bagout. Elle avait repris à son compte un certain nombre des tâches traditionnelles des benoîtes : ouvrir et fermer la chapelle, la nettoyer et la préparer pour les services religieux et les fêtes, sonner les cloches et faire des prières à la demande. Elle prenait très au sérieux le rôle de benoîte qu'elle s'était appropriée.

Cependant sa grande spécialité était celle de guide. Ses commentaires sur les peintures murales de la chapelle - notamment celles du retable central et de celui des Femmes - ne manquaient de saveur et elle les agrémentait parfois de propos ironiques ou acerbes sur l'état du monde, la désinvolture de la jeunesse ou l'attitude de certains villageois. Des années après sa mort des touristes demandaient toujours "ce qu'était devenue la vieille dame qui expliquait si bien la chapelle".

De plus elle faisait preuve d'ingéniosité. Ainsi elle avait fait installer dans sa chambre, à l'étage de la benoîterie, une corde qui lui permettait de sonner la cloche de la chapelle voisine en pleine nuit, sans quitter son lit, pour chasser l'orage et la grêle et les diriger... vers le village voisin de Lécumberry.

Marie Louise quitta sa chère benoîterie en 1989, deux ans avant sa mort. Elle avait fait une mauvaise chute et, ne parvenant pas à se relever, était restée une nuit entière allongée sur le carrelage humide. Une voisine, qui s'inquiétait de ne pas la voir, ne put entrer car la porte était verrouillée de l'intérieur. Elle donna l'alarme et on parvint finalement à lui porter secours en passant par une fenêtre du premier étage. On la transporta ensuite à la clinique Luro. Elle se rétablit rapidement mais les médecins refusèrent de la laisser retourner vivre seule à son âge dans une maisonnette sans confort et sans chauffage. Elle passa donc les deux dernières années de sa vie en maison de retraite où elle fut fort bien traitée mais où elle perdit peu à peu tous ses repères.

Et lorsqu'elle s'éteignit paisiblement disparurent définitivement avec elle les derniers vestiges d'une institution qui avait profondément marqué le Pays Basque.

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