Pour le gouvernement, la chute de la biodiversité ne doit pas bouleverser les résultats de la Bourse.
Les automobilistes qui, depuis des années, ne trouvent plus des dizaines d’insectes écrasés sur leurs pare-brise au terme de leurs parcours, les conducteurs de la SNCF qui ne voient plus les oiseaux venir picorer l’avant de leurs motrices parce qu’ils n’y trouvent plus grand-chose à leur arrivée en gare, auraient dû y penser depuis longtemps : les insectes et les oiseaux disparaissent de l’espace français. Les premiers décimés par les insecticides répandus par les agriculteurs et les millions de citoyens qui brandissent une bombe insecticides dés qu’ils aperçoivent un minuscule animal volant ou rampant.
Quant aux oiseaux, qu’ils séjournent toute l’année dans le ciel de France ou qu’ils reviennent d’une pénible migration, ils ne trouvent plus grand-chose à se mettre dans le bec. Les hirondelles, par exemple, qui viennent d’arriver très en retard dans les villes françaises. Des cités dont les habitants et les maires nettoient frénétiquement les façades (ça fait sale…) en détruisant les nids abrités sous les toits. Cela est pourtant interdit par la loi sur la protection de la nature votée en 1978 et qui les protège, comme 577 autres oiseaux, minuscules comme le troglodyte, ou superbes comme le vautour fauve qui survole les Cévennes. Cette loi interdit leur chasse, leur capture et la destruction de leurs nids.
Oiseaux épuisés
De plus, les dérèglements climatiques perturbent tous les longs voyages de millions d’oiseaux migrateurs, les insectivores comme les autres, qui ne trouvent plus rien à manger quand ils parviennent en France et en Europe, de retour d’Afrique ou de leur hivernage sur les pourtours de la Méditerranée. D’autant plus que l’agro-industrie, quand l’un de ses produits mortifères est enfin interdit en Europe, le refile aux pays du sud.
Mais, comme le dit Nicolas Hulot, que les oiseaux disparaissent, que des hérissons, des lièvres, des visons d’Europe, des grands hamsters se fassent de plus en plus rares, tout le monde s’en fout. Et le ministre devrait se rendre compte que tout son gouvernement s’en fout également. La chute de la biodiversité ne peut pas bouleverser, en France et ailleurs, les résultats de la Bourse et des vedettes du CAC 40.
Soudain, tout le monde se réveille parce que des scientifiques lancent un nouvel avertissement. Comme si, depuis des années et même depuis que la biologiste américains Rachel Carson a publié son Printemps silencieux en 1963, tous les scientifiques n’expliquaient pas la déroute de la biodiversité. Cette déroute affecte tout le vivant, qu’il s’agisse du monde végétal ou du monde animal, terrestre ou marin.
Dans mon jardin, cela fait plusieurs années que je ne n’aperçois plus de chardonnerets, que les pinsons ont pratiquement disparus, que les linottes, les verdiers, les rouges-gorges, les troglodytes, les rouges-queues, les grimpereaux qui venaient débarrasser un tilleul de ses larves d’insectes, les grives, les fauvettes, se font de plus en plus rares. Quant aux moineaux, ils résistent plus efficacement à la campagne qu’en ville, mais ils sont moins nombreux sur les points de nourrissage avec lesquels je tente avec plus ou moins de succès, de sauver les oiseaux en perdition. Et je n’oublie pas les oiseaux retrouvés morts et les hirondelles qui ont déserté leur nid dans la grange depuis sept ans…
Plus grand monde au jardin
Chaque année désormais, je découvre des nids abandonnés, avec ou sans œufs, parce que le couple d’oiseaux a disparu, épuisé par le manque de nourriture, qu’il s’agisse de graines ou d’insectes. Parce que ces insectes sont éliminés par les produits répandus sans retenue par des agriculteurs intensifs et aussi hélas par des jardiniers amateurs ne supportant pas le vol d’un moucheron ou d’un moustique. Marqueur de cette disparition organisée par l’homme : la raréfaction des papillons. Toutes ces bestioles qui, comme les abeilles également éliminées, contribuent à la pollinisation des arbres fruitiers et de nombreux légumes. Les insectes sont également décimés par les brusques variations de températures printanières liées au désordre climatique.
Alors, quand fidèles à leurs habitudes les oiseaux arrivent de leurs migrations depuis le sud de la France ou des pays d’Afrique, ils doivent faire face à un manque de nourriture qui les éliminent lorsqu’ils arrivent dans mon jardin, leurs réserves épuisées par leurs voyages. Même les plus gros ont du mal à résister aux privations : à la fin du mois de février, j’ai vu des grues cendrées arrêtées sur un banc de sable de la Loire, incapables de reprendre leur périple vers le Nord tant elles étaient épuisées par le manque de nourriture. Même tragédie pour quelques cigognes privées des mollusques, des petits poissons et des batraciens qui font leur ordinaire. Car le recul de la biodiversité, touche également ces petits animaux auxquels nous ne prêtons guère attention parce que nous ne les voyons pas dans la nature. Quand aux hérissons ou à la chauve-souris, j’ouvre une bouteille quand j’aperçois un rescapé : cette année, une pipistrelle a survolé ma maison. Une seule.
Dans notre un univers où la moindre grande surface nous offre des dizaines de variétés de gâteaux, de nouilles ou de plats cuisinés, tous plus ou moins nocifs pour notre santé, nous ne prêtons aucune attention à la chute du nombre des oiseaux assassinés par notre mode de vie et l’exploitation ou la pollution de notre environnement.
Mais la nature, dans les gouvernements de technocrates qui nous gouvernent, combien de ministres et de hauts fonctionnaires ont déjà observé les oiseaux ? Combien connaissent leurs noms et leur mode d’existence ? Parmi les citoyens des villes combien savent que leurs modes de vie et de consommation tuent les oiseaux et d’autres espèces sauvages ? Combien s’indignent du sort des ours blancs, des dauphins, des baleines ou des requins, en oubliant qu’ils ne constituent qu’une part infime du vivant dont la planète a besoin .
Claude-Marie Vadrot