Au revoir, Monsieur Lévi Strauss!
Bon, je vais vous le dire en Français: Mikel Laboa est passé sur l'autre rive.
C'est un poète, un musicien, un chanteur exceptionnel qui vient de nous quitter. Oh la la! Je suis fatiguée, émue, j'ai du mal à trouver mes mots. C'est idiot ce que je viens d'écrire là "exceptionnel", ça ne veut pas dire grand chose, peut-être même rien du tout. Disons plutôt alors que cet artiste me touche, me bouleverse. Si l'on doit absolument le comparer à un artiste francophone pour éclairer un peu ceux qui ne le connaissent pas du tout, que ce soit à Léo Ferré. Dans ma tête et dans mon coeur, je les sens comme deux frères.
Quand j'ai découvert Mikel Laboa en 1973, je ne comprenais pas un traître mot de Basque, mais j'ai été immédiatement fascinée par le culot musical, par la beauté des textes, par les délires vocaux. Enfin bon, j'ai été fascinée, quoi. On pourrait même dire pétrifiée. Charmée aussi par son approche de Rimbaud ou de Brecht. Comment vous dire? Laboa, ou bien vous êtes totalement hermétique et vous ne pouvez pas supporter, ou bien, que vous soyez ou non bascophone, ça vous passe partout et ça vous transporte.
"Les rois encombrent quand ils vivent, les poètes quand ils meurent", disait Felix Leclerc. Mikel Laboa n'a pas fini de nous encombrer.
Mikel Laboa en 2005, lors de la présentation de son dernier album.
Mikel Laboa, la voix du Pays Basque, s'éteint
Le célèbre chanteur et compositeur basque Mikel Laboa est décédé aujourd'hui, à l'âge de 74 ans.
Selon la compagnie discographique Elkar, il est décédé vers 5 heures du matin pour des causes encore inconnues.
Mikel Laboa a récemment reçu la Médaille d'Or de Gipuzkoa, la récompense maximale offerte par la Députation forale (équivalent du Conseil général). Il avait
l'intention de recueillir lui-même la médaille lors d'une cérémonie officielle prévue le 23 décembre.
Né en 1934 dans le vieux quartier de Saint-Sébastien (Donostia), Laboa est considéré comme un des plus grands patriarches de la musique du Pays Basque grâce à son
ardeur pour revitaliser et moderniser la tradition orale basque.
Mikel Laboa commençait à jouer de la guitare en 1950, quand il parvenait à concilier ses études de médecine avec sa passion pour la musique. Une passion qui l'a
mené à récupérer des chansons traditionnelles et à se produire pour la première fois dans le Théâtre Gayarre de Pampelune.
Marié en 1964 avec Marisol Bastida, une figure clé dans sa vie artistique, Laboa a toujours combiné son travail de médecin, notamment à l'Unité de
neuropsychiatrie infantile du Patronato San Miguel à Saint-Sébastien, où il a travaillé près de 20 ans, avec sa trajectoire musicale, au long de laquelle il a produit d'innombrables concerts,
participé à des spectacles avant-gardistes et enregistré une quinzaine de disques, la plupart avec la compagnie discographique Elkar.
Il est en outre le compositeur de la bande sonore du film de Julio Medem La pelote basque. En 2006, il a participé au concert de Bob Dylan sur la plage de La Zurriola à Saint-Sébastien. Ses apparitions publiques avaient considérablement diminué ces derniers temps à cause de son état de santé délicat.
Vous voulez écouter Txoria txori?
http://www.youtube.com/watch?v=6O3HTqa7l3A
http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index.php?ean13=9782707120274
Nous avons appelé plusieurs libraires, nous avons appelé l'éditeur, nous avons cherché sur le web. Rien à faire, pas moyen de trouver un seul exemplaire. En quelques années, j'avais échangé deux ou trois courriels avec l'auteure. Cela me gênait vraiment de la solliciter, mais j'ai pris mon courage à deux mains et je me suis lancée, je l'ai appelée. Et pendant une heure et demi, j'ai eu cette joie de parler avec elle, de sentir, au bout du fil, cette bonté profonde dans le sens où Alain Lipietz emploie le mot "bonne", le mot "bonté" dans l'hommage que je me permets de reproduire ci-dessous. Il ne lui restait que trois exemplaires. Elle m'a proposé d'en envoyer un à ma fille, a refusé que je le lui retourne après lecture, ( que je le lui paye, n'en parlons même pas!). Nous le recevions dès le surlendemain, avec une émouvante dédicace.
Avant ce contact, j'avais lu et aimé plusieurs de ces livres. Depuis, je gardais, je garde et garderai, au fond de moi une vraie tendresse pour cette grande dame
belle et généreuse.
Au revoir, Francine.
Et surtout, merci.
par Alain Lipietz | 7 novembre 2008
Il fait froid dans cette pièce ils ont dit Eteignez le chauffage on reviendra demain Pour préparer le corps Il fait froid je veux sur elle étendre son châle mais ce n’est plus la peine Elle n’aura plus jamais froid Cette couverture sur son corps de morte qu’on a mis Achetée je ne sais plus où je ne sais plus quand Et pourquoi je lui mettrais pas son châle Trente-cinq ans qu’on l’a choisi ensemble À Vézelay |
Il va falloir que j’apprenne
Dire ce qui n’est plus la peine
Dire ce qu’il me faut garder
Comme un diamant dans un collier
Dire d’abord qu’elle était belle
Ses yeux ne mangent plus son visage
Ils sont refermés à jamais
Jamais plus ne m’y baignerai
Ces yeux d’océan ces yeux de rivière
Dire qu’elle n’eut pas toujours ce corps de Buchenwald
Qu’il m’a fallu pour six ans réapprendre à aimer
Apprivoiser comme une oiselle dont on sent les petits os sous les ailes
Le sourire qui ce soir éclaire ses joues creuses
Illuminait jadis un corps empli de grâces
Car Aphrodite d’Or mit sur son front la grâce
Le douloureux désir et le souci qui brise les membres
Son corps féminin qui tant est tendre
Ses seins son ventre faits pour l’amour
Corps de désir et de plaisir
Qui a quitté Seigneur ma couche pour la vôtre
Dire que ma main en caressant le sein
N’effacera plus les rides du souci
Dire qu’elle fut la bonté même
Qui fit supporter mon arrogance
Dire qu’elle s’est tant donnée aux autres
Qu’elle faillit en oublier ses vers
Oublier ses livres oublier ses tableaux
Dire que demain ceux-là qui l’ont connue
Ne garderont que sa bonté
Et que ceux qui ne l’ont pas connue
Ne connaîtront que ce qu’elle avait tu
Dire qu’il me faudra dorénavant vivre sans sa bonté
Dire qu’il faut imprimer encore un de ses livres
Dire qu’elle ne verra pas grandir
Ses si belles petites filles
Elle qui aimait tant ses garçons
M’a appris ce que c’était
Qu’une lignée de filles
Dire qu’elle fut l’intelligence
Et la circonspection et la précision
Et l’esprit de finesse de son mouvement de libération
Et que mère femme au foyer travailleuse en lutte lesbienne musulmane
Toutes les femmes sont diminuées par le départ de sa belle âme
Dire qu’il faudra se passer d’elle pour bâtir le monde qu’elle a chanté
Il arrive que la voix manque
Dire qu’elle était bonne mais pas conne
Dire qu’elle fut une révoltée
Que là où je comprenais les raisons
Elle préservait l’indignation
Dire que je suis dans cette maison
Qu’elle n’avait pas fini de ranger
Dire qu’il nous reste des photos
Qu’elle n’eut pas le temps de composer
Dire cette nuit que je ne sais pas
Pourquoi demain je me lèverai
Dire qu’elle m’a dit qu’il fallait que j’apprenne
À en aimer une autre qu’elle
…
La nuit s’étire
Dormirai-je avec elle
C’est sa chambre froide
C’était notre chambre
Ses lévres entr’ouvertes sourient encore plus fort
Bien sûr dormir avec elle
Avec toi toi mon amour toi
Encore au moins encore une fois
Notre vie maintenant réduite à ces détails
Symboles dérisoires que je respecte ou pas
Dérisoire dérision au sourire du Néant
Ça fait des années que je travaille sur Mallarmé
Pour me préparer à ce néant
Ça fait des mois que j’ai arrêté
Car tu voyais trop bien que ça parlait de toi
O ma Nush qui écrivais les poèmes de ta mort à ma place
Combien de jours encore
D’un corps tu n’as que faire
Du monde tu t’émerveilles
Nous ne vieillirons pas ensemble
Notre amour si léger prend le poids d’un supplice
Et ces mots écris par toi écris pour moi écris par d’autres écrits pour d’autres
Maintenant sont ma morphine mon skenan mon rivotril
Nous n’avons jamais su régler la perfusion
Je préférais te donner la becquée de ces bonbons
Vaporiser l’eau d’Evian dans ton palais séché
Et comme un goutte à goutte je consulte mes mails
Où coule la providence des messages d’amitiés
La tendresse que tu n’entendras plus qu’on m’adresse pour me consoler
Les larmes qu’on se partage dans ton immense réseau d’amis
Comme le ruisseau d’une oasis